COULEUR DE PEAU : MIEL
Posté par rabelaisblog le 9 mars 2014
Ce manga auto-biographique, en trois tomes, raconte la vie de l’auteur, Jung, né à Séoul, en Corée du sud, adopté à son plus jeune âge par une famille belge et qui va connaître à la fois la vie d’un garçon qui se découvre et les conséquences d’un déracinement. Les tomes décomposent son histoire en trois parties. La première parle de son enfance jusqu’à treize ans où ses yeux s’écarquillent devant un nouveau monde et où, tout comme tous les enfants de son âge, il s’amuse, apprend ou fait des bêtises. Au milieu de quatre frères et sœurs, il grandit avec une mère adoptive plus maladroite qu’autoritaire et un père adoptif plus compréhensif. Malgré les efforts de tous, il subit à l’école les moqueries, les remarques racistes et se questionne sur ses origines, sur sa mère biologique. Il reçoit de l’affection de sa nouvelle famille mais il est en manque d’amour maternel. La deuxième relate son adolescence jusqu’à dix-neuf ans où les manques se font plus ressentir mais où il découvre la force de l’amitié et la dernière enfin, raconte son voyage en Corée à quarante ans où il tente de retrouver ses racines. Il éprouve des sentiments contradictoires sur la Corée qu’il renie et qu’il cherche à connaître. C’est à travers le dessin qu’il va finalement pouvoir exprimer ce qu’il ressent.
L’auteur joue autant sur le registre de l’humour que sur celui de la gravité. Il traite sérieusement un sujet personnel sans se prendre pour autant au sérieux. Il alterne les moments de tendresse et de dureté, de tristesse et de joie, de légèreté et de réflexion, cela rend la lecture de ce manga très agréable. Il utilise un style moderne qui donne envie de lire.
Si mon livre était un animal, ce serait un panda vivant dans un zoo, privé de son environnement naturel. Il reçoit des soins, ses gardiens le caressent, les enfants l’adorent mais, malgré cela, il reste malheureux au point de ne pas pouvoir se reproduire. Capturé, le panda quitte la terre Asiatique pour rejoindre des zoos d’Europe et d’Amérique. Pour Jung, il quitte, lui aussi, la Corée à l’âge de cinq ans pour ce rendre sur une terre inconnue pour lui : l’Europe. Il arrive en Belgique wallone sans connaissance du pays ni de la langue : le français. Certes, il ne connaît pas la captivité car la famille hôte l’accueille les bras ouverts et il passe de la misère en Corée à la richesse d’un pays européen mais le déracinement est finalement le même.
» Je ne suis pas arrivé en cigogne, en Belgique. Mes nouveaux parents sont venus me chercher à l’aéroport le 11 mai 1971. Ils ne parlaient pas le coréen. »
« Du COCA au goûter… Whaouw ! Pourtant, je n’étais pas en Amérique ! Je n’en revenais pas. J’ai du boire toute la bouteille ! Etais-je arrivé au paradis ? «
Si mon livre était un objet, ce serait une boussole. Elle permet aux personnes désorientées de retrouver une direction, un nord. Si Jung cherche son identité, ses origines, c’est certainement pour mieux avancer dans sa vie. Il veut découvrir son pays natal mais en même temps il le redoute comme on redoute l’inconnu. Il ressent de la peur et de l’enthousiasme. Lors de son voyage au Japon, il utilise une boussole pour rejoindre le nord du Japon qui est le point le plus proche de la Corée du sud.
« De toutes les villes que j’avais visitées au Japon, Hiroshima était la plus proche de la péninsule coréenne.
Depuis que j’étais arrivé, je n’arrêtais pas d’y penser. Au nord se trouvait la Corée.
Allez, petite boussole… Aide-moi, dis-moi où se trouve le nord. Je suis tout près de la Corée…
Juste un bateau à prendre. »
Si ce livre était un aliment, ce serait le pain d’épices. Aussi savoureux et épicé que ce manga, à dévorer sans modération, le pain d’épices trouve ses origines en Chine sous la forme d’un mi-kong. Les caravanes chinoises l’importèrent en Arabie, puis les Croisés le rapportèrent en Europe où il devint une pâtisserie de luxe puis partagée par tous. Le lien entre l’histoire de ce petit garçon coréen, couleur miel, qui se retrouve en Belgique et le pain d’épices, c’est notre difficulté parfois à retrouver les origines et les parcours complexes des choses, des personnes mais, au final, ces choses ou ces personnes existent et font leurs propres traces dans l’histoire.
Si ce livre était un sentiment, ce serait la survie. En effet, l’auteur voit se suicider, autour de lui, tous les coréens qui ont été adoptés comme lui. A l’adolescence, les conséquences d’un abandon, de l’absence d’une mère ou d’un père, du déracinement sont plus importantes et peuvent être déstabilisantes au point de perdre l’envie de vivre. Les familles d’accueil ne sont pas toujours sincères dans leur démarche d’adoption ce qui aggrave le mal-être. Certaines considèrent les adoptés comme des jouets exotiques ou comme des compensations à leurs propres malheurs. Inconsciemment, Jung, lui-même, se met en danger en absorbant beaucoup trop de tabasco ce qui lui provoque une très grave gastrite hémorragique. Ce livre permet de réfléchir sur l’adoption et sur toutes les difficultés qu’elle entraîne pour les adoptés et les adoptants.
» Je n’étais pas heureux. Le pire, c’est que je ne savais pas pourquoi j’étais malheureux. En m’alimentant de la sorte, je savais que je me faisais du mal. Avec le recul, je me dis qu’inconsciemment je voulais peut être en finir. Youri, adopté à choisi une méthode plus expéditive. Sa soeur, adoptée, est mort d’overdose. Bruno l’adopté court sur pattes, s’est pendu. Valérie, ma soeur adoptée, est décédée des suites d’un curieux accident de voiture. Anne, adoptée, est morte en s’ouvrant les veines. Sans oublier tous les adoptés qui ont fait des tentatives de suicide et qui ont échoué. Michèle, adoptée, va beaucoup mieux mais elle est restée longtemps dans un hôpital psychiatrique. »
Si ce livre était un métier, ce serait dessinateur. Je lis beaucoup de mangas japonais au contraire de mon père qui est amateur de bandes dessinées de tous genres. En discutant, il m’a dit qu’il avait dans sa collection un manga belge et qu’il m’en conseillait sa lecture. C’était « Couleur de peau : miel ». Si le deuxième tome était moins intéressant, le premier et le dernier tomes m’ont vraiment plu. Le dessin joue un rôle central dans l’intérêt du récit. Déjà, l’auteur mixe le style manga avec le format court et le style plus européen par une mise en page classique et un sens de lecture de gauche à droite. Ensuite, il utilise la BD pour exprimer ses ressentis et les faire partager. Enfin, le dessin renforce l’histoire et les mots. Dans cette BD, le texte a autant d’importance que le dessin ce qui n’est pas toujours le cas dans les mangas.
« Est-ce que j’aurais appris à dessiner si je n’avais pas été abandonné ? Peut-être pas… Le dessin a été pour moi, une manière ludique d’exprimer mon intériorité, de combler un vide, parfois même un exutoire. Une sorte de thérapie, en fait… »
Si ce livre était un paysage, ce serait le Plat Pays, la Belgique. Même si la Corée prend une large place dans le cœur de l’auteur et dans son histoire mais c’est le contraste brutal avec sa terre d’adoption qui permet de mieux percevoir ses manques et ses souffrances. Au début du récit, Jung trouve avec humour des points communs entre les deux pays, la forte densité, la division en deux parties avec des frontières artificielles. Au fur et à mesure que l’histoire progresse, la Corée devient de plus en plus présente et Jung se sent déchiré entre les deux pays et se sent étranger où qu’il soit. Quand il est enfant, pour se sentir belge, il va jusqu’à détester les autres coréens adoptés. A l’adolescence, il va ensuite rêver d’être japonais. Il se sent proche de ce peuple qui a la même couleur de peau que lui et auquel il peut s’identifier contrairement à la Corée qui l’a trahi. Adulte, il visitera la Corée et finira par réconcilier ses deux identités.
« J’ai sans doute besoin d’évacuer tout ça. Un fil transparent me relie au plus profond des racines de cette terre, il était vain de le rompre, comme il est illusoire de vivre dans le déni de ses origines… C’est la fin de ce voyage mais c’est le début de la réconciliation de mes deux identités. »
Si ce livre était un œuvre, ce serait la chanson de Michel Berger : je veux chanter pour ceux qui sont loin de chez eux. J’ai choisi cette chanson dont le thême est la souffrance de tous ceux qui sont éloignés de leur famille, de leur patrie, écartés d’une manière volontaire ou non. Ils connaissent tous la solitude et ce qu’elle provoque. Immigré, exilié, prisonnier, soldat, adopté, ils sont tous loin de chez eux. Cette chanson a été notamment interpretée par Lââm ou encore Salif Keita.
Mon livre en trois mots :
Identité : ce livre autobiographique raconte la quête d’identité de l’auteur durant sa jeunesse. Orphelin, il ne garde aucune trace de ses parents et plus particulièrement de sa mère dont l’amour lui manque. Déjà sans repère familial, il quitte à cinq ans la Corée dont il est originaire pour rejoindre une famille d’accueil en Belgique. Il découvre alors un monde avec des richesses, une autre culture dans lequel il n’est pas toujours facile de vivre avec une autre couleur de peau. Sa quête courageuse va lui permettre finalement de vivre avec ses deux identités, coréenne et belge.
Corée : A la fois aimée et detestée par Jung, ce pays représente pour lui la trahison et l’espoir. Il reproche à la Corée de l’avoir abandonné à la Belgique lorsqu’il était enfant, un peu comme si elle était sa propre mère mais dans le même temps, il est attiré par elle. Il attendra quarante ans avant d’y retourner, avant de pouvoir affronter ses souvenirs et ses racines.
Adoption : Orphelin, Jung est placé chez un couple wallon par une organisation américaine. Le livre montre tous les angles de l’adoption : ses travers quand les enfants sont considérés comme du bétail exportable, ses limites quand les adoptants se trompent sur ce qui les amènent à accueillir mais aussi ses apports quand l’affection est présente. Le regard de l’auteur est rendu plus intéressant parce qu’il raconte sa propre histoire. Le passage concernant le suicide d’autres adoptés est très émouvant et très marquant.
L’auteur de ce manga autobiographique, Jun Jung-sik est né en 1965 à Séoul en Corée.
En 1971, adopté par une famille belge, il devient Jung Henin. Après la sortie de plusieurs albums, il obtient une reconnaissance plus large de la profession et du public en 2007 quand il publie Couleur de peau : miel.
Auteur de la chanson « Je veux chanter pour ceux qui sont loin de chez eux »,
Michel Berger est né le 28 novembre 1947 à Neuilly sur Seine.
Il disparaît le 2 août 1992 à Ramatuelle.
Pianiste, auteur-compositeur-interprète, il a écrit douze albums.
Il était marié à la chanteuse France Gall pour qui il a notamment écrit : « La déclaration d’amour » .
Le nouveau titre
Si je devais donner un nouveau titre à ce manga qui m’a captivé, ce serait :
Le mal à la racine
En 2009, Jung coréalise avec Laurent Boileau un film adapté de la bande dessinée.
Voici la bande annonce de ce film d’animation.
Esteban 4°7
ce livre semble bien!
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